Né en Bohème, Pavel Hak s’inscrit avec Trans dans la grande tradition de la fiction d’Europe orientale. Une fiction politique qui extrapole dans l’avenir les tendances du présent : une société déshumanisée, manipulée en arrière plan par des puissants que nul ne voit, sans état d’âme, dont la seule valeur est la survie. Des règles qui sont les mêmes quels que soient les endroits du globe considérés. Monde parcouru par des émigrés clandestins et désespérés, victimes offertes à tous les prédateurs sans scrupule.
L’histoire débute en un lieu non défini, plutôt asiatique, mais dans une Asie qui pourrait être sibérienne, Dans cet univers glacé, Wu Tse guette avec ses amis Tang Cheng et Weng Fu le moment propice pour - sans être vus des gardes - s’emparer de cadavres afin de les dévorer. La survie à tout prix, à n’importe quel prix, dans un monde mort à toute humanité, une société désarticulée où rôdent les plus malins, les plus agiles. Un monde où les puissants sont lointains, inconnus, anonymes et terrifiants, un monde dont il faut s’évader. Evasion sans fin que réussit, en dépit des trahisons multiples, Wu Tse, et qui lui permet de parvenir à un monde moins froid mais tout aussi inhumain, divisé entre exploiteurs, marchands de chair humaine et exploités voués au silence et à la mort. Dans cette longue errance, Wu Tse rencontre Kwan, et sans connaître l’amour, luxe insensé pour leur condition, ils unissent leurs solitudes, se réchauffent, se défendent et attaquent, se perdent enfin, tandis que Wu Tse garde aiguë la confiance en leur survie mutuelle. La dernière phrase du livre : «Vies porteuses d’espoir»... L’écriture est nerveuse et blanche, adaptée à ce récit désespéré, un peu systématique peut être, avec une alternance de deux phrases brèves, sans verbes, simples associations de mots, qui ouvrent un récit plus long. On observe de loin, au présent, Wu Tse, en le suivant du regard, maigre silhouette animée par la seule farouche volonté de survie, et à nouveau deux phrases ferment la période. Les pérégrinations de Wu Tse le conduisent en plusieurs endroits, chacun pire, ou presque, que le précédent. On suit avec fascination ces traversées successives d’enfers à la fois semblables et différents, et peints plutôt que décrits. Un univers en camaïeu de gris, éclairés par des noirs… Un court texte, plus près d’une longue nouvelle, mais efficace.