« Trans ». Le point de départ du dernier Pavel Hak est un pays asiatique anonyme, vaste morgue gelée où sévit une dictature.
Natif de Bohême et jeune quadragénaire, Pavel Hak vit en France et écrit dans la langue de son pays d'accueil Après deux romans et une pièce de théâtre publiés chez Tristram, un éditeur marginal, il sort cet automne au Seuil un troisième roman véhément. La descente aux enfers d'un damné de la terre moderne. Wu Tse, c'est son nom, vient d'un pays dont l'identité ne sera jamais précisée. Une terre de souffrance soumise à un régime de fer, en proie à la famine et à la désolation.
Seul ici compte l'instinct de survie. Et pour se sauver, il n'y a pas de choix, il faut être cannibale. Oser surmonter ses répugnances et mordre dans la chair des cadavres qui jonchent les rues. Prendre ainsi des forces pour fuir, le seul espoir qui reste aux affamés. A partir de cette trame, Pavel Hak a imaginé une fresque qui prend aux tripes. Sur les bas-fonds du monde, l'enfer de la tyrannie, de l'exploitation, de la corruption, la poussée des flux migratoires et des nouvelles réalités qui nous dérangent, nous horripilent. Wu Tse, le héros de cette saga, possède la ruse et l'endurance d'un Ulysse. Deux qualités indispensables pour affronter les épreuves en série qui se dressent sur son chemin. D'abord pour éviter «le mur de l'exécution» qui attend les fuyards s'ils sont pris. Puis, une fois franchies les eaux glacées du fleuve frontalier, pour accepter de trimer comme manœuvre sur des chantiers. De cinq heures du matin jusque tard le soir à casser des cailloux afin de se payer un autre passage clandestin. Destination: l'Eldorado des pays riches. Wu Tse parvient à monter son coup avec l'aide de la jeune Kwan, une compatriote qui s'est soustraite aux griffes des proxénètes. Tous deux piègent un «gros porc friqué», le dévalisent pour pouvoir s'embarquer à bord d'un cargo. Mais le navire fait naufrage, Wu Tse perd la trace de sa compagne et se retrouve échoué sur une côte africaine. Début de nouvelles tribulations, car l'Afrique que découvre notre homme est celle du pillage et du viol, des coups d'Etat, des chasseurs de tête et des virus. D'une construction subtile, le roman se divise ainsi en trois parties qui s'emboîtent les unes dans les autres. A la fuite quasi viscérale et instinctive du début succède l'épisode africain, dans l'atmosphère poisseuse des tropiques. On y croise d'autres figures inquiétantes, de Noirs, mais aussi de Blancs. A l'instar de l'équipe du Dr Swartz, le médecin qui s'occupe un temps du fugitif. Un type étrange que ce Swartz!Il n'est pas sans rappeler le profil de Kurtz dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Une sorte de monstre, alcoolique et pervers polymorphe, qui tente par ses excès de conjurer l'étouffante torpeur du continent. Survient le troisième volet des tribulation de Wu Tse, l'arrivée en Occident. La partie de tous les dangers, de la quête du havre définitif et de la recherche désespérée de Kwan. Avec ce sommet narratif que constituent les pages où l'on assiste à une autre fuite du héros, caché avec deux compagnons d'infortune dans une benne à ordures. La tête ensevelie sous les détritus pour échapper au faisceau lumineux des flics. Emporté par une écriture rapide et syncopée, le livre de Pavel Hak se dévore. Il faut d'ailleurs le lire vite, pour rester sur la ligne de crête des tensions qui le traversent. L'humanité qui s'offre à nous ici sans fard présente un aspect brut, à fleur de besoins élémentaires. Manger, boire, baiser. Vite, toujours, car la peur est là, la menace reste tapie dans l'ombre. Et il faut fuir encore, échapper aux cerbères de l'ordre, aux rictus du racisme, à l'horreur des centres de rétention. A toutes les zones de non-droit où se complaisent les gardiens du temple. Et qui par les innombrables abus qu'ils commettent en toute impunité sur leurs victimes offrent un autre visage de la «bête immonde». Ce fascisme ordinaire dont on comprend qu’il pourrait se retourner contre nous-mêmes, le cas échéant, à l'intérieur de notre Eldorado.