C'est un livre formidable, remarquablement construit, très bien écrit, mais d'une violence sans nom; vous lirez des pages à la limite du supportable, et pourtant il faut lire "Sniper". Le romancier pratique l'alternance. De temps en temps ce sont les bourreaux qui s'expriment, parfois, ce sont les victimes; Pavel Hak réussit à matérialiser la folie de la guerre, sa part d'irrationnel, la terreur qu'elle engendre; et par ses mots, la littérature rappelle sa puissance et sa force, et même, sa supériorité par rapport aux images dont la télévision nous abreuve. Pavel Hak est un tchèque exilé en France depuis 15 ans, c'est la première fois qu'il écrit en français. Il invente des histoires, des scènes de guerre qu'il alterne; on en suit une puis une autre et on revient à la première; un monologue entrecoupe ces histoires; c'est un sniper qui dit clairement pourquoi il tue; "La guerre n'admet pas de questions": dit-il, d'où son absence totale de limites: il a son raisonnement, sa morale, alors il vise, il tire, il tue. Les récits de guerre eux sont imaginaires mais semblent authentiques, on pense à la Bosnie, à l'Algérie... un village a été détruit par des militaires mais il reste des survivants qui s'enfuient. Scène après scène, nous suivons leur fuite vers la frontière. Le récit est haletant, la peur perceptible; la tension oppressante; n'espérez pas une pause dans ce chaos; l'alternance d'histoires et de scènes qui s'entrechoquent ajoutent à la tension; comme si l'effet recherché était de prouver ce qu'est la guerre; l'impression qu'elle n'a pas de fin, et que demain ne sera jamais un autre jour; ailleurs, des soldats torturent des femmes; la domination par le sexe est décrite dans un naturalisme guerrier qu'on imagine exact; c'est insoutenable, mais au fond, l'auteur ne fait que rappeler l'absence d'état d'âme du guerrier: Pavel Hak a t-il raison de multiplier les scènes choc, parfois gore même, ne mélange-t-il pas à sa littérature celle de Sade ou Bataille? Vous jugerez. En tout cas, avancez la lecture... vous verrez que c'est bien le processus absolu de déshumanisation de la guerre qui est en marche. Un fils revient dans son village pillé par les soldats. Toute sa famille a péri. La terre est recouverte de glace; elle emprisonne les corps; alors il prend sa hache pour déterrer chacun d'entre eux et leur offrir une sépulture. Elle est là, la raison d'être du roman. Déterrer non sans mal des êtres humains et les enterrer dignement, c'est faire son devoir de mémoire. "Creuser, écrit l'auteur, marteler la terre là où elle cache ses crimes est le seul moyen de découvrir ce qui s'est passé."