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Trust
Pavel Hak : Le monde, et peut-être des mondes (Trust) : Tout commence par un titre : Trust. Dans la littérature de Pavel Hak, le titre revêt une importance et requiert immédiatement l’attention et la réflexion du lectorat. On se souvient, dans l’ordre et en négligeant quelques livres, de Sniper (2002), Trans (2006), Vomito negro (2011). Plus récemment, Autobiographie (2024) semblait dès le titre, donc, redistribuer la notion, voire le concept d’autobiographie, ce qui se confirmait et se confirme encore à la lecture. Ce nouveau livre, Trust, prend d’ailleurs notablement la suite mais ne s’y inscrit pas exactement. On y retrouve le style ciselé, la langue directe, la trame subtile de Hak, mais le propos est davantage dans la lignée de Trans ou de Warax (2009). Effet de succession, au sens de la philosophie de Badiou, plutôt que de la répétition dont tout ou partie de la philosophie du siècle passé a fait un enjeu. Tramé, assurément, Trust l’est. Les personnages démultipliés, tout ou partie suivis, les situations et les circonstances toutes proprement contemporaines, parfois à l’extrême car actuelles-inactuelles, valent « politique », « économie », « finance », « social », « guerre », etc. Des valeurs qui sont des thèmes de l’œuvre de Hak qui face à la liberté ne font pas le poids. Les chapitres, généralement courts, donnent le tempo et permettent une lecture en toute circonstance, presque n’importe où ou, plutôt, où l’on veut et voudra. On peut, par exemple – mais tant d’autres œuvres viennent volontiers à l’esprit –, songer à Dos Passos. Car Hak, dans ce livre, à l’instar des précédents, a un souci certain de la forme. « Dans Warax, qui parlait de l’ère de Bush, quatre trames narratives s’enchâssaient, les guerres américaines en Irak et en Afghanistan, les tensions à la frontière mexicaine et les flux migratoires liés aux tensions économiques, la collusion entre le monde politique et les mass media, et le danger d’une planète dévastée par un cataclysme, nucléaire ou autre. Trust, moment historique suivant, a pour ambition de parler du monde globalisé sous ses multiples aspects : extrême richesse, extrême pauvreté, guerres, trafics, dynamiques de pouvoir, bref, des forces organisatrices de notre monde, développées dans plusieurs dizaines de séquences narratives. Pour construire cet univers littéraire foisonnant de situations et de personnages, il fallait trouver une forme adéquate, correspondant à la complexité phénoménale de notre ère », rapporte Pavel Hak. Ce qui est dans Trust, c’est le monde, et peut-être des mondes, apparemment. Ce qui frappe le lectorat, sûrement, est quelque chose de l’ordre de l’humour, mais quoi ? La satire, à en croire l’auteur : « L’humour, le grotesque, le burlesque, la satire féroce sont des procédés littéraires auxquels on peut avoir recours pour montrer la dureté, l’absurdité et la cruauté des logiques de pouvoir imposées à nos sociétés et à nos vies par la finance et des sphères oligarchiques dont l’objectif principal semble être l’extravagante accumulation de profits, au détriment du reste de la population et de la planète Terre. Mais, étant donné que Trust brasse une multitude d’histoires et de personnages, d’autres procédés littéraires – description clinique, création de situations dramatiques, rupture de rythme, hyperbole poétique – sont employés pour mettre en scène les rapports de force et les conflits caractérisant cet univers. L’intensité narrative joue un rôle primordial ». Il faudrait ou l’on pourrait démultiplier les citations. « Ses collègues ne réagirent pas. Kent surveillait la camionnette dont l’immobilité était de plus en plus alarmante. Brant traquait la moto qui se comportait décidément d’une manière anormale […] Lund sentit son rythme cardiaque s’accélérer. La réalité aspirée dans une spirale d’altération aberrante échappait au contrôle des technologies de surveillance. Que signifiait cette distorsion du réel ? ». Les images, quelle que soit leur nature, sont frappées, elles aussi, mais du bon sens. On peut comparer n’importe quelle proposition ou n’importe quelle phrase de Trust à n’importe quelle inepte proposition ou phrase du monde tel qu’il va mal, par exemple : « Redonner la main aux citoyens et citoyennes sur leur santé » (anonyme, automne 2025) : indéniablement, la littérature nous emporte. D’autant que la poésie n’est pas si loin qu’il pourrait y paraître à première vue. Entraîné d’emblée, le lectorat, même le plus aguerri à la phraséologie de Hak, peut passer à côté des premiers mots du roman : « AMERICAN CENTURY / Ciel d’azur. Soleil éblouissant. / Télescopage des massifs rocheux. » Mais peut-être pas à côté de ceci et de ceux-là, qui viennent le clore : « Terre. Milliards d’êtres humains. / Inexorable évolution. » Antoine Dufeu